Impressions d'Ecosse
A peine les lampions de la Belle Plaisance éteints Gullveig et quelques autres voiliers classiques larguent les amarres pour le Rallye d'Ecosse organisé par le Yacht Club Classique. Voici quelques impressions de ce" paradis pour naviguer" par Pierre-Loïc Chantereau, à bord de Griffon.
Rien n'est plus divers que ce pays contorsionné, entrelacé, pétri par les mains d'un géant vert.
La nature y est encore sauvage, balayée par des vents que rien n'arrête. Les arbres font des efforts désespérés pour pousser le long des côtes. Echec presque partout. Seule une petite variété d'arbustes opiniâtres parvient à survivre en s'abritant derrière les cailloux. A l'extérieur des îles, le vent et la houle viennent tout droit de l'autre bout de l'Atlantique, sans rien pour les freiner. Aller vous battre contre ça, avec vos seuls petits moyens végétaux ! Impossible.
On se contentera de bruyères à ras le sol et d'une palette de verts de toutes nuances seulement ponctuée de taches blanches : des moutons placides; indifférents à tout, rêvant peut-être de Harris Tweed.
Les rochers sont partout. Dans toutes les variétés de noir et gris. Luisants ou râpés, lisses ou contorsionnés. Drôle d'impression de début du monde, pour ces blocs de pierres qui sont, paraît-il, les plus anciens de notre planète.
Comptez aussi avec les courants, quelques fois de type raz Blanchard ou presque. Amusant quand le tapis roulant est dans le bon sens. Plus humide en sens inverse, brumisateur sur position quatre. Sortez les suroîts, les bonnets, les écharpes et votre bonne humeur: ça risque de durer.
A non, finalement, changement de programme: voilà qu'il fait grand beau ! Le ciel s'est dégagé brutalement . Quelques nuages seulement. Chez nous plus au sud, les nuages prennent des formes alanguies, du genre pépère et bien veillant. Ici en Ecosse les nuages filent à toute vitesse sans prendre le temps de s'amuser.
Donc il fait beau. On peut ôter une couche de vêtement. Et pour peu on aurait chaud.
Ca ne dure pas. Voilà maintenant que, dans un programme de cirque bien orchestré, c'est au tour de la brume de faire son numéro. Epaisse. Brutale et froide. Impénétrable. Mais pénétrante. Surveiller l'AIS. La collision n'est jamais très loin dans ce pays où le ferry sert de bus quotidien aux iliens qui s'accrochent à leur terre et tentent d'y survivre.
Roulement de tambour. Fin du numéro de brume. Soleil à nouveau. Applaudissements. On enlève une couche de ciré. C'est fou ce qu'on passe comme temps à changer de tenue.
Encore quelques miles, et c'est le mouillage attendu. Pas franchement abritée, la zone des coffres réservés aux rares bateaux de passage! On fera avec. Et la nuit sera confortable.
Courte nuit. Le soleil est en horaire d'été, à la besogne vingt heures par jour. Horaires théoriques quand même. Car la pluie partage le terrain de jeu. L'eau change de couleur: on passe du mercure scintillant au plomb le plus sombre. Alchimie bizarre.
Et voilà, il pleut. Le programme rinçage vient de se mettre brutalement en route. Ah c'est certain que les vernis ne seront pas piqués de sel !
Sortir les cirés, ranger les lunettes de soleil. Ressortir les autres. Faire chauffer de l'eau pour un thé de consolation.
Zut, trop tard. Il fait beau à nouveau ! On a tort d'utiliser l'expression "douche écossaise" avant de l'avoir vécu.
Un bruit à l'arrière. Une sorte de flop bizarre. Un bout qui traine ? Non c'est un dauphin. Deux en fait. Croisement devant l'étrave, couinements pour saluer, sauts vrillés. Applaudissements. Ils s'attardent. Et c'est tant mieux.
Tient il pleut. Ah non, juste une petite averse. Ca devrait passer.
Ca passe. Il fait à nouveau très beau. Une petite brise presque chaude vient de se lever. Vent de travers. Moment délicieux. Décidément, pas le temps de s'ennuyer dans ce décor grandiose !
Ecosse.
En vérité, voilà un paradis bien mystérieux, qui n'offre ses charmes qu'à ceux apprécient la variété et savent se préparer à tout. A tout instant. Y compris des moments de bonheur intense.
Pierre-loïc Chantereau - Griffon
